Apprendre en public et par les pairs 👥
learnability 39 · Snapshot d’Anne-Laure Le Cunff, fondatrice de Ness Labs et doctorante au King’s College de Londres
Bonjour à tou·te·s 👋
J'espère que vous allez bien !
De mon côté, l'aventure du permis de conduire prendra un peu plus de temps que prévu : après un mois et demi de pratique acharnée, j'ai malheureusement raté mon examen pratique. Pas de faute grave, mais quelques appréciations négatives. J'ai accepté la sentence sans demander à voir leur grille d'évaluation critériée 🙃
La deuxième tentative ne sera pas pour le mois de mai, car je viens tout juste d'arriver à Montréal pour y passer les quatre prochaines semaines. Je participerai notamment au 10ème colloque international en éducation les 4 et 5 mai. Après 7 éditions en tant que conférencier, j’y vais cette fois-ci en tant que simple visiteur, avide de découvrir les dernières recherches scientifiques et les retours d’expériences de différents projets d’innovation pédagogique. C’est un réel plaisir de faire son programme en fonction de ses envies et intérêts !
Dans le même temps, j’appréhende quelque peu de communiquer au Congrès de l’ACFAS, les 8 et 9 mai, dans le symposium “Enjeux et perspectives du numérique éducatif”. J'aurai l'occasion d'y présenter mon approche d'ingénierie pédagogique centrée sur les apprenant·e·s – learning experience design –, certaines études de cas et des résultats liés à des projets menés depuis 4 ans. Malgré la pointe de stress, j’espère surtout obtenir des retours de la communauté scientifique afin de les prendre en compte dans la rédaction de mon livre.
Je documenterai évidemment toutes ces aventures montréalaises ainsi que mes découvertes sur Twitter – j’envisage notamment un live tweet, à l’ancienne, des deux événements scientifiques.
Sans transition, vous remarquerez un changement dans cette édition : la disparition de la section “Learning Design Jobs”. J’ai envie de garder un ton personnel dans cette newsletter qui est un espace d’exploration, de découverte et de partage. Cette partie me semblait de moins en moins coller à cette ligne éditoriale. En plus, je commençais peu à peu à publier des offres pour des entreprises dont je partageais moins les valeurs. Je n’avais pas envie que certaines offres puissent être vues comme des recommandations de ma part. J’ai donc préféré supprimer cette section.
Par contre, j’ai ajouté un petit module d’appréciation de l’édition à la fin de celle-ci. N’hésitez pas à l’utiliser pour me dire ce que vous avez pensé du contenu ! Et si vous souhaitez me faire des suggestions, vous n’avez qu’à répondre à cet e-mail. Je lis et réponds à toutes celles et ceux qui m’écrivent. Et ça m’aide à améliorer le contenu et la forme de la newsletter !
Cette semaine, j'ai l'occasion de recevoir une personne qui me fascine depuis plusieurs années : Anne-Laure le Cunff. Après avoir travaillé chez Google, Anne-Laure a créé plusieurs projets dont Ness Labs qu’elle gère en parallèle d’un doctorat en neurosciences de l’éducation au King’s College London. Ness Labs est une école en ligne qui propose des contenus, du coaching, des cours et une communauté pour aider les individus à mieux travailler. Dans ce snapshot, elle vous partage son parcours, ses pratiques quotidiennes, la genèse de sa communauté d’apprentissage et sa vision du futur de la formation.
Bonne lecture,
Nicolas.
Temps de lecture : 6 minutes
À mes yeux, Anne-Laure est l’une des meilleures créatrices de contenu sur Internet. J’admire son approche de partage public de ses réflexions et avancées, sa capacité à tester de nouvelles choses et ses pratiques pour fédérer une communauté autour d’elle. Tout cela, en gardant toujours une approche bienveillante et humaine.
En 2019, elle crée Ness Labs, un blog pour mieux comprendre ce qu’elle étudie au King's College de Londres durant sa maîtrise en neurosciences. Très vite, elle se lance un défi pour améliorer sa pratique de l’écriture : écrire 100 articles en 100 jours. Le résultat est double : elle crée une communauté de fidèles lecteurs·rices et découvre son champ d’intérêt à l’intersection entre productivité et bien-être, ce qu’elle nomme “Mindfull Productivity”
Au fur et à mesure, elle fait évoluer Ness Labs en un écosystème d’apprentissage – ou une “école en ligne” – dédié à une approche holistique de la productivité, en mettant l'accent sur le développement personnel et le bien-être mental.
Ce fut un plaisir de prendre ce snapshot d’Anne-Laure et d'explorer sa relation au monde de la formation, ses pratiques pour la création d’une école en ligne ainsi que son quotidien partagé entre son doctorat et la création de contenu.
Salut Anne-Laure ! Merci d’avoir accepté cette invitation ! Est-ce que tu peux commencer par te présenter ?
Salut Nicolas ! Je suis chercheuse et entrepreneuse ; d’un côté doctorante au King’s College London et de l’autre fondatrice d’une école en ligne nommée Ness Labs. Avant de déménager à Londres, j’ai pas mal vadrouillé : je suis originaire de Paris, j’ai étudié à Tokyo, et j’ai vécu à San Francisco, où je travaillais pour Google.
Qu’est-ce qui t’a amené au monde de la formation ?
Pendant mon master en neurosciences, je me suis mise à écrire des articles en ligne pour partager ce que j’apprenais, et aussi pour me forcer à vraiment comprendre les sujets que j'étudiais. Le fait d’avoir une newsletter a été un super moyen de réfléchir autrement en tant qu'étudiante.
Au bout de quelques mois, pas mal de lecteurs ont commencé à me demander si je comptais offrir des cours en ligne sur les sujets que je traitais dans ma newsletter. Je me suis dit : pourquoi pas ?
Et je me suis vite rendue compte que l’enseignement en ligne n’avait rien de facile. Il faut produire du contenu engageant, créer un environnement motivant, maintenir un contact humain avec les élèves… Tout ça au travers d’un écran. Je n’avais pas d'équipe pédagogique pour me soutenir. L'équipe, ce n'était que moi et mes dix doigts.
Alors, au lieu de créer un cours en ligne classique, j’ai créé une communauté d’apprentissage – learning community. Le but était d’offrir un espace d’apprentissage par les pairs, où les membres pouvaient apprendre en s’entraidant.
Toutes les semaines, un membre de la communauté fait une présentation sur un sujet intéressant. C’est un peu la méthode Feynman : apprendre en enseignant !
Ce projet m’a amenée à m'intéresser de plus près au monde de l’apprentissage, et a inspiré mon sujet de recherche pour mon doctorat en neurosciences de l'éducation.
Comment expliques-tu ce que tu fais si un ou une inconnue te le demande lors d’une soirée ?
En général, je dis que je gère une école en ligne, mais parfois je dis que je fais de la recherche dans le domaine de l'éducation en ligne. Mais je ne mentionne que rarement les deux parce que ça fait très vite déroulé de CV, ce qui n’est pas très fun en soirée !
À quoi ressemble une journée de travail typique ?
Ça dépend des jours. En début de semaine, je travaille sur mes projets de recherche. Nous avons un labo avec un appareil d’oculométrie et un casque d’électroencéphalographie. Nous invitons des étudiants à suivre des cours en ligne depuis l’ordinateur qui se trouve dans le labo pendant que nous collectons des données sur leurs mouvements oculaires et leur activité cérébrale. Entre chaque session, j'écris mes papiers de recherche et je rédige mes demandes de subventions.
En fin de semaine, je me concentre sur Ness Labs, l’école en ligne que j’ai fondée. En général, je bosse à la maison ou dans un café pas loin de chez moi. J'écris notre newsletter, je travaille avec l'équipe pour créer nos cours en ligne, et je réponds aux messages des membres de notre communauté.
J’ai aussi récemment commencé à écrire un livre, qui sera publié en France aux éditions Eyrolles. J’y travaille un peu tous les jours — parfois le matin en buvant mon café, parfois le soir après dîner. Ça fait des journées assez chargées, mais qui ne se ressemblent jamais, donc au moins je ne m’ennuie pas !
À quoi ressemble ton espace de travail ?
Mon espace de travail a pas mal évolué au fil des années.
Avant, je ne travaillais qu’avec mon Macbook. Mais depuis que j’ai commencé à créer du contenu en ligne, il a fallu investir dans des outils plus pointus, surtout pour ce qui est de la création de vidéos.
Voici une photo de mon espace de travail actuel.
La caméra est connectée à mon ordinateur pour que je puisse l’utiliser pour mes cours en ligne, que ce soit en direct sur Zoom ou enregistré à l’avance. J’ai un écran séparé pour pouvoir regarder droit dans la caméra plutôt que d’avoir la tête baissée sur mon ordinateur. Si quelqu’un a des conseils pour cacher tous ces câbles, je suis preneuse.
Pour ce qui est des logiciels, cela dépend de la casquette que je porte. Si c’est pour l’enseignement, j’utilise Circle pour la communauté d’apprentissage, WordPress pour le site, et ConvertKit pour la newsletter. Si c’est pour la recherche, j’utilise SPSS, MATLAB, NVivo, et une flopée de logiciels qui, pour être honnête, ne sont pas super intuitifs. Ça mériterait un peu d’innovation niveau expérience utilisateur !
Quel que soit le type de travail que je fais, Roam est l’outil que j’utilise le plus souvent. C’est là que je prends des notes, que je réfléchis à des idées, et que je planifie mes projets. Enfin, quand il s’agit d'écrire – ma newsletter, mes papiers de recherche, mon livre –, je fais tout avec Google Docs – une habitude prise quand je travaillais à Google.
Quels sont les challenges pédagogiques auxquels tu fais face ?
Le plus difficile dans la gestion d’une école en ligne, c’est de s’assurer que tous les membres de notre communauté aient une expérience enrichissante. Il est trop facile de tomber dans le piège de se concentrer uniquement sur le taux de complétion. Bien sûr, c’est déjà très bien si toutes les vidéos sont regardées jusqu’au bout, mais ça ne dit rien sur l'expérience d’apprentissage.
Et quand on n’est pas dans du face-à-face avec les étudiants comme dans une salle de classe, on n’a pas accès aux mêmes signaux d’engagement. Du coup, il faut innover, en proposant des modèles adaptés à l’apprentissage en ligne qui encouragent à la participation active plutôt qu'une consommation passive.
De quelle innovation pédagogique es-tu la plus fière ?
Le fait d’avoir décidé de créer une communauté d’apprentissage plutôt qu’une plateforme classique avec un parcours d’apprentissage individuel est probablement l’innovation pédagogique dont je suis la plus fière.
Les membres de notre communauté s’entraident, apprennent ensemble, et beaucoup d’entre eux sont devenus amis et ont collaboré sur des projets après s'être rencontrés pour la première fois au travers de Ness Labs.
Comment imagines-tu l’évolution du milieu de la formation dans les 5 prochaines années ?
Il est impossible de penser à l'évolution du milieu de la formation sans penser à l'impact qu’aura l’intelligence artificielle. La manière dont on évalue l’apprentissage des élèves est souvent basée sur la régurgitation soignée et intelligente – mais régurgitation tout de même – de concepts étudiés pendant les cours, par exemple en écrivant des essais.
Quelles seront les nouvelles méthodes d'évaluation qui prendront en compte l'ubiquité des outils d’IA ? Et comment former les élèves à utiliser ces outils comme des compagnons d’apprentissage plutôt qu’un remplacement complet de l’apprentissage ?
Je n’ai pas les réponses à ces questions, mais je pense que tout enseignant – que ce soit dans un contexte formel ou informel, dans une université, un centre de formation, ou une école en ligne – se doit d’y réfléchir.
Quels livres, quelles personnes, quelles expériences ont façonné tes pratiques ? Pourquoi ?
Le livre “Apprendre !” écrit par Stanislas Dehaene est une vraie pépite. J’ai aimé la manière dont il utilise ses connaissances neuroscientifiques pour donner de vrais conseils pratiques pour l'éducation des enfants et des adultes.
“How Learning Happens : Seminal Works in Educational Psychology” écrit par Paul Kirschner et Carl Hendrick est aussi un livre vers lequel je n'arrête pas de me retourner. C’est super bien écrit et un super outil quand on veut baser ses décisions sur de la recherche scientifique.
En termes de personnes et d'expériences, j’ai la chance d’avoir deux superviseurs — Dr Ellie Dommett et Dr Vincent Giampietro — qui travaillent à l'intersection de l'éducation et des neurosciences, et qui soutiennent mon travail à Ness Labs en m’offrant beaucoup de flexibilité sur la manière dont j’organise mon temps. C’est vraiment un privilège d'être soutenue comme ça quand on a plusieurs projets interdisciplinaires !
Quel est le meilleur moyen pour les lectrices et lecteurs de learnability de te contacter et de suivre tes activités ?
Le mieux, c’est de s’abonner à ma newsletter (en anglais). Vous pouvez aussi suivre mes projets sur Twitter, où je suis très (trop ?) active, et me contacter sur LinkedIn.
Ce mois-ci, j’ai lu cinq livres : quatre ouvrages de non-fiction et le dernier roman de Frédéric Beigbeder. Je ne vous parlerai pas de ce dernier que je n’ai pas apprécié. J’ai par contre entamé le brillant “Les éclats” de Brett Easton Ellis, mais je ne suis pas encore parvenu au bout des 616 pages – laissées d’ailleurs à Bruxelles pour éviter un surpoids dans mes bagages.
L’idée centrale du livre est simple : se dégager plus de temps chaque jour afin de faire ce qui vous importe vraiment. Pour cela, les auteurs proposent une approche en quatre étapes pour une gestion du temps plus intentionnelle : choisir une priorité quotidienne (Highlight), se concentrer uniquement sur cette tâche cruciale en éliminant les distractions (Laser), recourir à des stratégies pour augmenter son énergie physique et mentale (Energize) et réfléchir régulièrement à son emploi du temps pour y apporter des ajustements nécessaires (Reflect). J’aime relire ce livre régulièrement pour analyser mon système actuel de gestion du temps, l’optimiser, piocher certaines techniques et en créer de nouvelles. J’y avais d’ailleurs consacré une édition en avril 2022 dans laquelle je résumais l’ouvrage et partageais certains principes mis en place.
Travailler sans e-mails · Cal Newport
Je suis fan de Cal Newport. J’ai lu quasi tous ses livres et suis de manière assidue son podcast hebdomadaire. J’aime sa capacité à combiner recherches scientifiques et études de cas pour déconstruire en profondeur des pratiques ancrées. Dans cet ouvrage, traduit récemment en français, il présente une approche novatrice pour réduire la dépendance aux e-mails et retrouver une productivité sereine – promis, je ne lis pas que des livres sur la productivité ! Après une première partie consacrée à la manière dont le courrier électronique affecte la qualité de notre travail et impacte notre santé mentale, il se concentre sur des principes permettant de trouver des solutions à ces problèmes. Sur cette base, il propose des pistes d’action et des exemples concrets pour changer d’attitude face aux e-mails, améliorer sa concentration et travailler plus sereinement.
How to Design & Teach Workshops That Work Every Time" · Robert Fitzpatrick et Devin Hunt
Dans ce livre, les auteurs présentent leur approche étape par étape pour concevoir et animer des formations et ateliers efficaces. Il ne s’agit pas d’un livre de pédagogie à proprement parler, mais il offre des bases solides à toute personne qui souhaite créer une expérience d’apprentissage en présentiel. De la planification d’une séance à son animation avec des techniques interactives en passant par la définition d’objectifs ou le choix des méthodes pédagogiques, le livre permet de créer une formation adaptée aux besoins des apprenant·e·s pour réussir à les engager durant toute une session. Je vous le conseille tant pour son approche rédactionnelle – loin des livres académiques ou des manuels sur le sujet – que pour son contenu – formateur·rice novice ou expérimenté·e, il y aura des idées à reprendre pour améliorer vos ateliers.
L'évaluation de la formation · Jonathan Pottiez
Nous en parlions dans l’épisode 13 de “C’est quand la pause ?”, l’évaluation est souvent la grande oubliée des formations. Au mieux, on évalue la satisfaction des participant·e·s à la fin d’une session. Au pire… On ne fait rien. Pour y remédier, l’ouvrage de Jonathan Pottiez explore de manière approfondie le – célèbre, mais bien trop peu utilisé – modèle de Kirkpatrick en quatre niveaux (réaction, apprentissage, comportement et résultats). Que vous soyez formateur·rice, responsable de formation ou professionnel·le des ressources humaines, le livre vous guide pour concevoir des évaluations efficaces, mesurer l'impact des programmes de formation et maximiser le retour sur investissement.
Midjourney, c’est une intelligence artificielle qui génère des images à partir de commandes textuelles que vous lui donnez.
Si, ces dernières semaines, j’ai beaucoup exploré ChatGPT et ses usages pour le monde de l’enseignement et de la formation, je me suis enfin mis à utiliser Midjourney depuis quelques jours. Et je dois vous avouer que je suis tombé dans un gouffre : les possibilités sont impressionnantes, mais l’outil demande la maîtrise d’une série de commandes et de paramètres pour obtenir des résultats intéressants.
C’est encore difficile d’imaginer ce qu’il sera possible de faire à des fins pédagogiques – plus qu’avec ChatGPT du moins –, mais ce n’est pas une raison pour ne pas investiguer le potentiel de l’outil.
Pour vous plonger dedans, je vous conseille cette vidéo de Théo Marechal qui vous permet de comprendre les tenants et aboutissants de cette intelligence artificielle et de commencer à l’utiliser.
Attention : Midjourney a mis fin aux essais gratuits depuis plus d’un mois. Vous devrez a minima débourser 10 dollars pour accéder au service.
Un profil très inspirant, merci pour la découverte 🙏
Je suis friande de références bibliographiques et autres conseils de lecture. Curieuse aussi de voir comment évolue le design de la formation en ligne. Enfin, je trouve super intéressante l'expérience du doctorat en neurosciences appliquée au domaine de la pédagogie; What else ?